10. survivor of suicide
Mar. 5th, 2005 11:21 pm![[personal profile]](https://www.dreamwidth.org/img/silk/identity/user.png)
Le suicide est le plus grand des crimes. Quel courage peut avoir celui qui tremble devant un revers de fortune ? Le véritable héroïsme consiste à être supérieur aux maux de la vie. — Napoléon I, Maximes de guerre et pensées Suicide is the greatest of crimes. What courage could possess he who trembles before a reversal of fortune? True heroism consists in being above the ills of life. — Napoleon I, Maxims of War and Thoughts |
|
L’orgueil est toujours plus près du suicide que du repentir. — Antoine de Rivarol, Maximes, pensées et paradoxes Pride is always closer to suicide than to repentance. — Antoine de Rivarol, Maxims, thoughts, and Paradoxes |
|
On a, relativement à la gravité du sujet, écrit très peu sur le suicide, on ne l’a pas observé. Peut-être cette maladie est-elle inobservable. Le suicide est l’effet d’un sentiment que nous nommerons, si vous voulez, l’estime de soi-même, pour ne pas le confondre avec le mot honneur. Le jour où l’homme se méprise, le jour où il se voit méprisé, le moment où la réalité de la vie est en désaccord avec ses espérances, il se tue et rend ainsi hommage à la société devant laquelle il ne veut pas rester déshabillé de ses vertus ou de sa splendeur. Quoi qu’on en dise, parmi les athées (il faut excepter le chrétien du suicide), les lâches seuls acceptent une vie déshonorée. Le suicide est de trois natures : il y a d’abord le suicide qui n’est que le dernier accès d’une longue maladie et qui certes appartient à la pathologie ; puis le suicide par désespoir, enfin le suicide par raisonnement. Lucien voulait se tuer par désespoir et par raisonnement, les deux suicides dont on peut revenir ; car il n’y a d’irrévocable que le suicide pathologique : mais souvent les trois causes se réunissent, comme chez Jean-Jacques Rousseau. — Honoré de Balzac, Illusions perdues Considering the gravity of the subject, very little has been written about suicide; it has not been studied. Perhaps this malady cannot be studied. Suicide results from a feeling that if you like we will call self-esteem, so as not to confuse it with the word “honor”. The day when a man despises himself, the day when he sees himself despised, the moment when the reality of life is at odds with his hopes, he kills himself and thus pays homage to society, before which he does not wish to stand stripped of his virtues or his splendor. Whatever one may say of it, among atheists (exception must be made for the Christian suicide) cowards alone accept a life dishonored. There are three kinds of suicide: firstly the kind that is but the final bout of a prolonged sickness, and which surely belongs to the domain of pathology; secondly the suicide arrived at through despair; thirdly the suicide arrived at through reasoning. Lucien wanted to kill himself through despair and through reasoning, the two kinds of suicide from which one may retreat; for the only irrevocable kind is the pathological suicide; but often the three causes come together, as in the case of Jean-Jacques Rousseau. — Honoré de Balzac, Lost Illusions |
|
SUICIDE. Preuve de lâcheté. — Gustave Flaubert, Le Dictionnaire des idées reçues SUICIDE. Proof of cowardice. — Gustave Flaubert, Dictionary of Received Ideas[0] |
Je me tue ― sans chagrin. ― Je n’éprouve aucune de ces perturbations que les hommes appellent chagrin. ― Mes dettes n’ont jamais été un chagrin. Rien n’est plus facile que de dominer ces choses-là. Je me tue parce que je ne puis plus vivre, que la fatigue de m’endormir et la fatigue de me réveiller me sont insupportables. Je me tue parce que je suis inutile aux autres ― et dangereux à moi-même. Je me tue, parce que je me crois immortel et que j’espère. ― Lettre à Narcisse Ancelle, Paris, le 30 juin 1845 |
I kill myself ― without sorrow. ― I feel none of those disturbances that men call sorrow. ― My debts never have been a sorrow. Nothing is easier than mastering these things. I kill myself because I could no longer live, because the weariness of falling asleep and the weariness of awakening are unbearable to me. I kill myself because I am useless to others ― and dangerous to myself. I kill myself, because I believe myself to be immortal and because I hope. ― Letter to Narcisse Ancelle, Paris, 30 June 1845 |
Baudelaire wrote the poem “Un voyage à Cythère” between September of 1851 and January of 1852.[3] Its manuscript bears a dedication to Gérard de Nerval. Born Gerard Labrunie in 1808, Nerval earned his precocious distinction since his teens as a masterful translator of German poetry. Nerval’s rendition of his Faust so impressed Goethe, that he told Eckermann of being struck with its novelty, even after he found his own original lno longer readable.[4] His place in popular culture is assured by the story transmitted by Arthur Symons and Guillaume Apollinaire, of Gérard being found one day in the Palais-Royal, leading a lobster at the end of blue ribbon. The tale of the lobster, retailed by Théophile Gautier, gave voice to a letter-perfect explanation of ostakophilia:[5]
En quoi un homard est-il plus ridicule qu’un chien, qu’un chat, qu’une gazelle, qu’un lion ou toute autre bête dont on se fait suivre ? J’ai le goût des homards, qui sont tranquilles, sérieux, savent les secrets de la mer, n’aboient pas et n’avalent pas la monade des gens comme les chiens, si antipathiques à Goethe, lequel pourtant n’était pas fou. | Why is a lobster any more ridiculous than a dog, a cat, a gazelle, a lion, or any other animal that one takes along for a walk? I have a liking for lobsters, who are peaceful, serious, learned in the secrets of the sea, not given to barking, and not likely to gnaw upon one’s monad as do dogs, whom Goethe so detested, though he was not mad. |
Gérard de Nerval, portrait by Nadar, around 1854
Un voyage à Cythère | Voyage to Cytherea |
Mon cœur, comme un oiseau, voltigeait tout joyeux Et planait librement à l’entour des cordages; Le navire roulait sous un ciel sans nuages, Comme un ange enivré d’un soleil radieux. |
My heart, a bird, seemed joyfully to fly And round the rigging cruised with nimble gyre. The vessel rolled beneath the cloudless sky Like a white angel, drunk with solar fire. |
Quelle est cette île triste et noire ?—C’est Cythère, Nous dit-on, un pays fameux dans les chansons, Eldorado banal de tous les vieux garçons. Regardez, après tout, c’est une pauvre terre. |
What is that sad, black island like a pall? Why, Cytherea, famed in many a book, The Eldorado of old-stagers. Look: It’s but a damned poor country after all! |
—Île des doux secrets et des fêtes du cœur ! De l’antique Vénus le superbe fantôme Au-dessus de tes mers plane comme un arome, Et charge les esprits d’amour et de langueur. |
Isle of sweet secrets and heart-feasting fire! Of antique Venus the majestic ghost Rolls like a storm of fragrance from your coast Filling our souls with languor and desire! |
Belle île aux myrtes verts, pleine de fleurs écloses, Vénérée à jamais par toute nation, Où les soupirs des cœurs en adoration Roulent comme l’encens sur un jardin de roses |
Isle of green myrtles, where each flower uncloses, Adored by nations till the end of time: Sighs of adoring hearts, like incense, climb. And pour their perfume over sheaves of roses, |
Ou le roucoulement éternel d’un ramier ! —Cythère n’était plus qu’un terrain des plus maigres, Un désert rocailleux troublé par des cris aigres. J’entrevoyais pourtant un objet singulier ! |
Or groves of turtles in an endless coo! But no! it was a waste where nothing grows, Torn only by the raucous cries of crows: Yet there a curious object rose in view. |
Ce n’était pas un temple aux ombres bocagères, Où la jeune prêtresse, amoureuse des fleurs, Allait, le corps brûlé de secrètes chaleurs, Entre-bâillant sa robe aux brises passagères; |
This was no temple hid in bosky trees, Where the young priestess, amorous of flowers, Whom secretly a loving flame devours, Walks with her robe half-open to the breeze. |
Mais voilà qu’en rasant la côte d’assez près Pour troubler les oiseaux avec nos voiles blanches, Nous vîmes que c’était un gibet à trois branches, Du ciel se détachant en noir, comme un cyprès. |
For as we moved inshore to coast the shallows And our white canvas scared the crows to fly, Like a tall cypress, blackened on the sky, We saw it was a gaunt three-forking gallows. |
De féroces oiseaux perchés sur leur pâture Détruisaient avec rage un pendu déjà mûr, Chacun plantant, comme un outil, son bec impur Dans tous les coins saignants de cette pourriture ; |
Fierce birds, perched on their meal, began to slash And rip with rage a rotten corpse that swung. Each screwed and chiselled with its beak among The crisp and bleeding crannies of the hash. |
Les yeux étaient deux trous, et du ventre effondré Les intestins pesants lui coulaient sur les cuisses, Et ses bourreaux, gorgés de hideuses délices, L’avaient à coups de bec absolument châtré |
His eyes were holes: from open stomach direly His heavy tripes cascaded to his thighs. Gorged with such ghastly dainties to the eyes, His torturers had gelded him entirely. |
Sous les pieds, un troupeau de jaloux quadrupèdes, Le museau relevé, tournoyait et rôdait ; Une plus grande bête au milieu s’agitait Comme un exécuteur entouré de ses aides. |
Beneath, some jealous prowling quadrupeds, With lifted muzzles, for the leavings scrambled. The largest seemed, as in the midst he gambolled, An executioner among his aides. |
Habitant de Cythère, enfant d’un ciel si beau, Silencieusement tu souffrais ces insultes En expiation de tes infâmes cultes Et des péchés qui t’ont interdit le tombeau |
Native of Cytherea’s cloudless clime In silent suffering you paid the price, And expiated ancient cults of vice With generations of forbidden crime. |
Ridicule pendu, tes douleurs sont les miennes ! Je sentis, à l’aspect de tes membres flottants, Comme un vomissement, remonter vers mes dents Le long fleuve de fiel des douleurs anciennes, |
Ridiculous hanged man! Your griefs I know. I felt, to see you swing above the heath, Like nausea slowly rising to my teeth, The bilious stream of ancient human woe. |
Devant toi, pauvre diable au souvenir si cher, J’ai senti tous les becs et toutes les mâchoires Des corbeaux lancinants et des panthères noires Qui jadis aimaient tant à triturer ma chair. |
Poor devil, dear to memory! before me I seemed to feel each talon, fang, and beak Of all the stinking crows and panthers sleek That in my lifetime ever chewed and tore me. |
— Le ciel était charmant, la mer était unie; Pour moi tout était noir et sanglant désormais, Hélas ! et j’avais, comme en un suaire épais, Le cœur enseveli dans cette allégorie. |
The sky was charming and the sea unclouded, But all was black and bloody to my mind. As in a dismal winding-sheet entwined, My heart was in this allegory shrouded. |
Dans ton île, ô Vénus ! je n’ai trouvé debout Qu’un gibet symbolique où pendait mon image..... —Ah ! Seigneur ! donnez-moi la force et le courage De contempler mon cœur et mon corps sans dégout ! |
A gallows where my image hung apart Was all I found on Venus’ isle of sighs. O God, give me the strength to scrutinise, Without disgust, my body and my heart! |
L’incorrigible Gérard prétend au contraire que c’est pour avoir abandonné le bon culte que Cythère est réduite en cet état. ― Lettre à Théophile Gautier, Paris, fin 1851 |
The incorrigible Gérard pretends on the contrary that it is for having abandoned the good cult, that Cytherea has been reduced to this condition. ― Letter to Théophile Gautier, Paris, end of 1851 |
The voyage to Cytherea prefigured the tragic end of its dedicatee. At 7 o’clock in the morning on 26 January 1855, aged 47, Nerval was found hanging from an iron bar in a sewer grate on the rue de la Vieille-Lanterne, near the Châtelet, in Paris. His suicide became an emblem of poetic destiny for the author of Les Fleurs du mal, who noted in the projects of its preface: « Gérard de Nerval. Nous sommes tous pendus ou pendables. » All poets, perhaps standing as scapegoats for mankind in its entirety, are hanged, or deserving of hanging.[9] This theme continued to obsess the author of Le Mauvais vitrier until the end of his creative career:[10]
Baudelaire, une nuit | Baudelaire, one night |
Depuis beaucoup de mois, je n’avais pas vu Baudelaire. Un soir, vers dix heures, comme je revenais d’une visite à la campagne, je me trouvai tout à coup en face de lui il montait l’escalier de la gare du Nord, que je descendais. | For many months, I had not seen Baudelaire. One evening, around ten o’clock, as I was returning from a visit to the country, I found myself all of a sudden facing him; he was climbing the stairs at the Gare du Nord. |

[……………………………………………………………….] | [……………………………………………………………….] |
Je vis la pauvreté de ses habits, strictement corrects sans doute, mais dont l’usure luisait çà et là et, le menton pas rasé de frais, il avait l’air de maussaderie presque menaçante, son air des jours d’échéance, ― car il avait des fins de mois, comme les gens d’affaires ― où il allait de banquier en banquier pour obtenir des renouvellements de billets à ordre. Certainement, il eût préféré ne pas être rencontré. J’allais m’excuser, m’éloigner. Il se fit souriant, câlin, me prit par le bras. Nous descendîmes ensemble. Il m’expliqua qu’il était venu à Paris pour affaire, qu’il s’en retournait à Bruxelles, qu’il avait manqué le train du soir, qu’il coucherait dans n’importe quel hôtel, et partirait demain, à la première heure. Nous passerions la soirée ensemble, à causer par les rues, comme nous avions coutume, l’an passé et il était très content de me voir. J’étais affreusement triste. Je sentais qu’il ne disait pas toute la vérité. Le soupçon me tourmentait que, venu à Paris, avec un permis de chemin de fer, pour chercher de l’argent, il n’en avait pas trouvé, et que, peut-être, il n’avait pas même la monnaie nécessaire pour payer la chambre dans l’hôtel. Mon cœur se serrait, griffé d’angoisse. J’étais comme un apprenti, pas bien riche, mais pas trop pauvre, établi à son tour, qui rencontrerait son ancien patron tombé en faillite, misérable. « Voilà une idée, dis-je, de coucher à l’hôtel ! Vous y serez fort mal, cette nuit d’automne, dans le froid de la chambre étrangère. Tenez, voulez-vous dormir chez moi ? J’ai un lit, et un canapé ; vous coucherez dans le lit, je coucherai sur le canapé ; et ma concierge vous réveillera à l’heure que vous voudrez. » Il ne répondit pas ; il avait détourné la tête, un peu. Je compris qu’il acceptait ; j’en étais content, ― désolé aussi, d’avoir lieu d’être content. Nous allions, pas très vite, avec des paroles à propos des boutiques, des cafés, des passants. Je ne reconnaissais pas la précise abondance de son discours coutumier ; il parlait par saccades de mots, plutôt qu’à phrases rythmées et nettement longues. Je m’étonnais de ses brusques sautées d’une idée à une autre. D’ordinaire, il usait, même dans les propos familiers, d’une exacte rhétorique et d’une syntaxe irréprochable. | I saw the poverty of his dress, doubtless strictly correct, but shiny with wear here and there; and with his chin not freshly shaven, he appeared sullen almost to the point of menace, which was his appearance on the days his bills came due ― for he had his ends of the month, as do businessmen ― going from banker to banker to obtain a renewal of his promissory notes. Doubtless, he would have preferred not being met. I would have excused myself and walked away. He affected a smile, cajoling, took me by the arm. We descended together. He explained to me that he had come to Paris for business, that he was returning to Brussels, that he had missed the night train, that he would sleep in any old hotel, and would leave the first thing tomorrow. We passed the evening together, talking as we walked the streets, as we had accustomed ourselves the year before; and he was very glad to see me. I was dreadfully sad. I felt that he was not telling me the entire truth. The suspicion tormented me, that, having come to Paris, with a railway pass, to look for money, he found none, and perhaps that he was even lacking the means to pay for a hotel room. My heart was crushed with the claws of anguish. I was like an apprentice, not quite rich, but not too poor, established in his turn, who encountered his former master, reduced to insolvency, miserable. “What an idea,” I said, “to sleep in a hotel! You will be very ill at ease there, on this autumn night, in the chill of a strange room. Say, would you like to sleep at my place? I have a bed, and a couch; you will sleep in the bed, I will sleep on the couch, and my concierge will wake you up whenever you want.” He did not answer; he turned away his head, a little. I understood that he accepted; I was gladdened by it, ― and also grieved by having the occasion to feel gladdened. We passed, not too quickly, with words regarding the shops, the cafés, the passerby. I did not recogfnize the precise abundance of his habitual diction; he spoke with choppy words, rather than with rhythmic and clearly drawn out phrases. I was astounded by his sudden leaps from one idea to another. Ordinarily, he used, even in casual talk, exact rhetoric and irreproachable syntax. |

Je logeais alors, rue de Douai, au rez-de-chaussée sur une cour ronde et gaie qui avait l’air d’un décor d’opéra-comique. J’ai raconté ce logis folâtre où la jeunesse parnassienne venait, une fois la semaine, et même tous les jours, dire et entendre des vers. J’offris le lit à Baudelaire, qui n’en voulut point, assura qu’il serait à merveille sur le canapé. Il s’y étendit tout habillé, me demanda un livre, et commença de lire sous l’abat’jour de la lampe que j’avais placée à côté de lui. J’avais allumé un feu de papier et de fagots ; je lisais aussi, enfoncé dans un fauteuil. Mais il laissa tomber son livre, et, brusquement tourné vers moi, il me demanda : « Savez-vous, mon enfant, combien j’ai gagné d’argent depuis que je travaille, depuis que j’existe ? » | I lived then on rue de Douai, on the ground floor looking out on a round and merry courtyard, which had the look of a stage set for a musical comedy. I have described this frolicsome dwelling, where the Parnassian youth came, once a week, and even every day, to hear and recite verses. I offered the bed to Baudelaire, who did not it, and assured me that he would feel marvelously on the couch. He laid himself out upon it, all dressed, asked me for a book, and started to read under the shade of the lamp that I had placed beside him. I had built a fire with paper and sticks; I also read, settled in an armchair. But he let fall his book, and, abruptly turning towards me, asked me: “do you know, my child, how much money I have earned since I started working, in my entire life?” |
Il y avait dans sa voix une acerbité déchirante de reproche et comme de reclamation. J’avais frissonné. « Je ne sais, dis-je. ― Je vais vous en faire le compte ! » cria-t-il. Et sa voix s’exaspérait comme de rage. Pourtant, il la scandait avec une décision d’industriel qui, en fureur, mais résolu, dicterait son bilan. Il énuméra, avec leurs prix, les articles, les poèmes en vers, les poèmes en prose, les traductions, les reproductions, et, l’addition faite, de tête, avec la soudaineté des Inaudi qu’on exhibe dans les music-halls, il proclama : « Total des bénéfices de toute ma vie ; quinze mille huit cent quatre-vingt-douze francs et soixante centimes ! » Il ajouta, dans un claquement de mâchoires : « Notez ces soixante centimes ― deux londrès ! » Ma tristesse, faite d’une respectueuse pitié, s’aggravait, s’encolérait. Je songeais aux romanciers fameux, aux mélodramaturges féconds, et je considérais ― avec une envie, ah ! Si puérile, de sauter au cou de la société, et de serrer très fort ― ce grand poète, ce penseur terrible et délicat, cet artiste parfait qui, durant vingt-six années de laborieuse existence, avait gagné environ un franc soixante-dix centimes par jour ! Il éclata de rire. Puis il éteignit la lampe. « Maintenant, dit-il, dormons. » Il ne s’endormit pas. | There was in his voice a heart-rending bitterness of reproach and something like a demand. I had shivered “I do not know,” I said ― “I will make you an accounting!” he shouted. And his voice was exasperated, as if by rage. However, he scanned it with a determination of an industrialist who, furious, but resolved, would dictate his balance sheet. He enumerated, with their prices, the articles, the poems in verse, the prose poems, the translations, the reproductions, and, the addition made, in his head, with the abruptness of Inaudi, as seen in the variety shows, he proclaimed: “The total of the profits of my entire life ― fifteen thousand eight hundred ninety-two francs and sixty centimes!” He added, in a snapping of jaws: “Note these sixty centimes ― two Cuban cigars!” My sadness, borne of a respectful pity, deepened, turned into anger. I thought of the famous novelists, of the fertile melodramatists, and I pondered ― with a desire, howsoever childish ― jumping at the neck of the society, and throttling it with all my strength ― this great poet, this terrifying and delicate thinker, this perfect artist who, in the course of twenty-six years of hard-working life, had gained approximately a frank seventy centimes per day! He burst out laughing. Then he extinguished the lamp “Now,” he said, “let us sleep.” He did not fall asleep. |
Après un long silence où il y avait eu des soupirs, ça et là ― les soupirs d’une âme surchargée d’angoisse ― il se mit à parler, lentement, posément, comme on lit à voix haute. Il ne s’adressait plus à moi, mais à soi-même ; il disait son projet d’un vaste poème hindou où il ferait tenir toute « la mélancolie lumineuse du soleil. Leconte de Lisle a pris l’Inde ancienne, avec son placide néant. Mais l’Inde moderne c’est la misère, la torture, la détresse, la peste, l’accablement, et les langueurs de l’amour, et le serpentement des formes, dans l’éblouissement d’une furieuse lumière ! C’est le spleen radieux ! Je dirai la lamentable beauté de l’éternel Midi et les splendeurs squameuses des lèpres dans l’adorable et exécrable coruscation du jour !» Il se tut. Ah ! Que n’a-t-il écrit ce poème dont l’idéal me charmait et m’effrayait ! Le silence encore. Je crus, dans l’ombre, qu’il s’était endormi. Mais non, il se remit à bavarder, familièrement ; parla de Manet, qu’il admirait avec minutie ; de Wagner, qu’il admirait avec passion ; et de Vigny, et de Leconte de Lisle, et de Banville, ses préférés, me dit tout à coup, mais d’une voix contenue, presque pas articulée, d’une voix de confidence : « Est-ce que vous avez connu Gérard de Nerval ? ― Non, » dis-je. Il continua : « Il n’était pas fou. Parlez-en à Asselineau. Asselineau vous expliquera que Gérard n’a jamais été fou ; pourtant il s’est suicidé [sic], il s’est pendu. Vous savez, à la porte d’un bouge, dans une rue infâme. Pendu, il s’est pendu ! Pourquoi a-t-il choisi, décidé à mourir, la vilenie de ce lieu et d’une loque autour du cou ? Il y a des poisons subtils, caressants, ingénieux, grâce à quoi la mort commence par de la joie, du moins par du rêve… » Je ne disais rien, je n’osais pas parler. « Mais non, non, reprit-il, en haussant la voix, en criant presque, ce n’est pas vrai, il ne s’est pas tué, il ne s’est pas tué, on s’est trompé, on a menti ! Non, non, il n’était pas fou, il n’était pas malade, il ne s’est pas tué ! Oh ! N’est-ce pas ? Vous direz, vous direz à tout le monde qu’il n’était pas fou, et qu’il ne s’est pas tué ! » Je promis tout ce qu’il voulait, en tremblant, dans les ténèbres. Il cessa de parler. Je songeais à gagner le lit pour m’étendre, prendre quelque repos. Je ne bougeais pas, de peur de me heurter à quelque meuble, et, aussi, j’attendais, je ne sais quoi. Soudain un sanglot éclata, sourd, contenu, comme d’un cœur qui crève sous un grand poids. Et il n’y eut qu’un seul sanglot. La peur me serrait dans l’immobilité. J’étais brisé, je fermai les yeux, pour ne pas voir l’ombre, devant moi, dans le miroir. | After a long silence punctuated with sighs, here and there ― sighs of a soul overburdened with anguish ― he started to speak, slowly, sedately, as if reciting in a high voice. He was not addressing me any longer, but himself; he spoke of his project of a vast Hindu poem where he would capture all the “luminous melancholy of the sun. Leconte de Lisle took old India, with its placid nothingness. But modern India is misery, torture, distress, plague, oppression ― and languors of love, and meandering of forms, in the dazzling of a furious light! It is the radiant spleen! I will declare the pitiful beauty of the eternal noon and scabrous splendors of lepers in the adorable and abominable sparkling of the day!” He fell silent. Ah! That he did not write this poem, whose ideal charmed me and frightened me! The silence continued. I believed, in the shade, that he had fallen asleep. But no, he recovered to chatter, familiarly; he spoke about Manet, whom he admired with meticulousness; of Wagner, whom he admired with passion; and of Vigny, and Leconte de Lisle, and Banville, his favorites, says to me suddenly, but in a controlled voice, almost indistinctly, with confidence: “Did you know Gérard de Nerval?” ― “No”, I said. He continued: “He was not insane. Speak to Asselineau. Asselineau will explain you why Gérard was never insane; however he committed suicide, he hanged himself. You know, in the doorway of a hovel, in a squalid street. Hanged, he hanged himself! Why did he choose, decide to die, in the turpitude of this place and of a rag around the neck? There are subtle poisons, caressing, clever, whereby death begins with joy, at least with a dream...” I did not say anything, I did not dare to speak. “But no, no,” he began anew, raising the voice, almost shouting, “it is not true, he did not commit suicide, he did not commit suicide, they were mistaken, they lied! No, no, he was not insane, he was not sick, he did not commit suicide! Oh! Isn’t it so? You will tell, you will tell everyone that he was not insane, and that he did not commit suicide!” I promised all that he wanted, as I trembled in the shadows. He stopped speaking. I thought of going to bed to stretch out, to get some rest. I did not move, of fear of running into some piece of furniture; and also, I awaited, I do not know what. Suddenly a sob burst out, muffled, contained, like a heart that breaks under a great weight. And there was only one sob. Fear froze me in immobility. I was shattered, I closed my eyes, so as not to see the shadow, before me, in the mirror. |

Quand je m’éveillai, Baudelaire n’était plus là. Un mot, sur une feuille, au coin de la table, me disait : « A bientôt. » Je n’ai pas revu Baudelaire, je veux dire le vrai Baudelaire, pensant et maître de soi. Il n’est revenu à Paris que pour y souffrir longuement, hagard, vague et veule, en proférant seulement le juron qu’on a pris pour un blasphème, qui n’était peut-être qu’un reproche ― ou une invocation ? | When I woke up, Baudelaire was no longer there. A word, on a sheet, laying on the corner of the table, addressed to me: “See you soon.” I never saw Baudelaire again, I mean the true Baudelaire, thinking and master of himself. He returned to Paris only to suffer at length, haggard, vague, and feeble, by uttering only the curse that they took for a blasphemy, which was perhaps only a reproach ― or an invocation? |
― Catulle Mendès, « Belles-Lettres et les environs ― LXXI ― Pour l’album de mélancolie. » | ― Catulle Mendès, “Belles-Lettres and the environs ― LXXI ― For the Album of Melancholy”. |
Footnotes:
[0] Napoléon Ier, Maximes de guerre et pensées, J. Dumaine Ed., Paris 1863, 385, p. 297; Antoine de Rivarol, Maximes, pensées et paradoxes, Paris: Le Livre Club du Libraire, 1962, p. 41; Honoré de Balzac, Illusions perdues 3, Eve et David, Chapitre 30; Gustave Flaubert, Œuvres, édition établie et annotée par A. Thibaudet et R. Dumesnil, Bibliothèque de la Pléiade, Paris : Gallimard, 1951, vol. II, p. 1022. All translations, unless noted otherwise, are by MZ.
[1] C I, pp. 124-125.
[2] Thus Le Voyage, Une Charogne, L’Héautontimorouménos, and Les Plaintes d’un Icare, OC I, pp. ..., ..., ..., and ....
[3] OC I, p. 1069.
[4] See The Cambridge Companion to Goethe, edited by Lesley Sharpe, Cambridge: Cambridge University Press, 2002, p. 245, citing Eckermann, note of 3 January 1830.
[5] The germ of the story is found in Champfleury, Grandes figures d’hier et d’aujourd’hui : Balzac, Gérard de Nerval, Wagner, Courbet, Paris: Poulet-Malassis et De Broise, 1861, p. 495. See Théophile Gautier, Portraits et souvenirs littéraires, Paris: G. Charpentier et Cie, 1881, p. 40, Guillaume Apollinaire, « La vie anecdotique : Gérard de Nerval. – « Tancrède ». – Les impromptus de Jean Moréas », Mercure de France, 16 juillet 1911, pp. 439-442; reproduced in Œuvres en prose complètes, textes établis, présentés et annotés par Pierre Caizergues et Michel Décaudin, Bibliothèque de la Pléiade, Paris: Gallimard, 1993, Vol. III, pp. 73-79.
[6] OC I, pp. 117-118, translated by Roy Campbell, 1952.
[7] OC I, p. 1074.
[8] C I, p. 180.
[9] OC I, p. 183.
[10] Catulle Mendès, « Belles-Lettres et les environs ― LXXI ― Pour l’album de mélancolie. » , ― Le Figaro, 2 novembre 1902, in Baudelaire devant ses contemporains, textes recueillis et publiés par W.T. Bandy et Claude Pichois, Monaco, Éditions du Rocher, 1957 (BDSC), pp. 157-162.
[11] Here ends the tenth chapter of the second part of the book previously entitled Representation and Modernity, begun in 1986 and submitted by the author and accepted by Hilary Putnam and William Mills Todd III, in partial satisfaction of 1993 degree requirements at Harvard University. Some of the subsequent chapters have been posted elsewhere in this journal. Comments, questions, suggestions, and requests shall be gratefully considered and promptly answered.
hello
Date: 2006-06-26 02:35 am (UTC)Re: hello
Date: 2006-06-26 06:59 am (UTC)hello
Date: 2006-06-30 04:36 am (UTC)Re: hello
Date: 2006-07-04 05:24 pm (UTC)no subject
Date: 2006-07-04 05:29 pm (UTC)no subject
Date: 2006-07-04 05:46 pm (UTC)priligy france meilleur prix
Date: 2011-11-25 10:03 pm (UTC)priligy france france (Http://priligy-france.sitew.com)