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Les feuilles mortes paroles : Jacques Prévert ; musique : Joseph Kosma Oh! je voudrais tant que tu te souviennes des jours heureux où nous étions amis En ce temps-là la vie était plus belle et le soleil plus brûlant qu’aujourd’hui Les feuilles mortes se ramassent à la pelle… Tu vois je n’ai pas oublié Les feuilles mortes se ramassent à la pelle les souvenirs et les regrets aussi et le vent du nord les emporte dans la nuit froide de l’oubli Tu vois je n’ai pas oublié la chanson que tu me chantais C’est une chanson qui nous ressemble Toi tu m’aimais et je t’aimais Et nous vivions tous deux ensemble toi qui m’aimais et que j’aimais Mais la vie sépare ceux qui s’aiment tout doucement sans faire de bruit et la mer efface sur le sable les pas des amants désunis Les feuilles mortes se ramassent à la pelle les souvenirs et les regrets aussi Mais mon amour silencieux et fidèle sourit toujours et remercie la vie Je t’aimais tant tu étais si jolie Comment veux-tu que je t’oublie En ce temps-là la vie était plus belle et le soleil plus brûlant qu’aujourd’hui Tu étais ma plus douce amie… Mais je n’ai que faire des regrets Et la chanson que tu chantais toujours toujours je l’entendrai C’est une chanson qui nous ressemble Toi tu m’aimais et je t’aimais Et nous vivions tous deux ensemble toi qui m’aimais et que j’aimais Mais la vie sépare ceux qui s’aiment tout doucement sans faire de bruit et la mer efface sur le sable les pas des amants désunis. 1950 —Jacques Prévert, Œuvres complètes, tome II, Gallimard, 1996, pp. 785-786 |
La chanson de Prévert paroles et musique : Serge Gainsbourg Oh je voudrais tant que tu te souviennes Cette chanson était la tienne C’était ta préférée Je crois Qu’elle est de Prévert et Kosma Avec d’autres bien sûr je m’abandonne Mais leur chanson est monotone Et peu à peu je m’in- Diffère À cela il n’est rien À faire Peut on jamais savoir par où commence Et quand finit l’indifférence Passe l’automne vienne L’hiver Et que la chanson de Prévert Cette chanson LES FEUILLES MORTES S’efface de mon souvenir Et ce jour-là Mes amours mortes En auront fini de mourir 1958 —Serge Gainsbourg, Mon propre rôle I, Denoël, 1987, 1991, pp. 56-57 Gréco avait chanté « Les feuilles mortes » ; Gainsbourg compose « La chanson de Prévert ». Il a l’intention de frapper un grand coup, mais se fait tout petit quand il s’agit d’aller demander à Jacques Prévert l’autorisation d’utiliser son nom. GAINSBOURG : « Il m’avait reçu chez lui. À dix heures du matin, il attaquait au champagne. Il m’a dit : “Mais c’est très bien mon p’tit gars !” et timidement je lui ai tendu un papier qu’il m’a signé. » —Gilles Verlant, Gainsbourg, Editions Albin Michel, 1992, p. 55 |
Après-guerre, à peu près à la même époque que Jean-Paul Sartre, Jacques Prévert a eu un succès énorme ; on est malgré soi frappé par l’optimisme de cette génération. Aujourd’hui, le penseur le plus influent, ce serait plutôt Cioran. À l’époque on écoutait Vian, Brassens… Amoureux qui se bécotent sur les bancs publics, baby-boom, construction massive de HLM pour loger tout ce monde-là. Beaucoup d’optimisme, de foi en l’avenir, et un peu de connerie. À l’évidence, nous sommes devenus beaucoup plus intelligents.
Avec les intellectuels, Prévert a eu moins de chance. Ses poèmes regorgent pourtant de ces jeux de mots stupides qui plaisent tellement chez Bobby Lapointe ; mais il est vrai que la chanson est comme on dit un genre mineur, et que l’intellectuel, lui aussi, doit se détendre. Quand on aborde le texte écrit, son vrai gagne-pain, il devient impitoyable. Et le « travail du texte », chez Prévert, reste embryonnaire : il écrit avec limpidité et un vrai naturel, parfois même avec émotion ; il ne s’intéresse ni à l’écriture, ni à l’impossibilité d’écrire ; sa grande source d’inspiration, ce serait plutôt la vie. Il a donc, pour l’essentiel, échappe aux thèses de troisième cycle. Aujourd’hui cependant il rentre à la Pléiade, ce qui constitue une seconde mort. Son œuvre est la, complète et figée. C’est une excellente occasion de s’interroger: pourquoi la poésie de Jacques Prévert est-elle si médiocre, à tel point qu’on éprouve parfois une sorte de honte à la lire? L’explication classique (parce que son écriture « manque de rigueur ») est tout à fait fausse ; à travers ses jeux de mots, son rythme léger et limpide, Prévert exprime en réalité parfaitement sa conception du monde. La forme est cohérente avec le fond, ce qui est bien le maximum qu’on puisse exiger d’une forme. D’ailleurs quand un poète s’immerge à ce point dans la vie, dans la vie réelle de son époque, ce serait lui faire injure que de le juger suivant des critères purement stylistiques. Si Prévert écrit, c’est qu’il a quelque chose à dire ; c’est tout à son honneur. Malheureusement, ce qu’il a à dire est d’une stupidité sans bornes ; on en a parfois la nausée. Il y a de jolies filles nues, des bourgeois qui saignent comme des cochons quand on les égorge. Les enfants sont d’une immoralité sympathique, les voyous sont séduisants et virils, les jolies filles nues donnent leur corps aux voyous ; les bourgeois sont vieux, obèses, impuissants, décores de légion d’honneur et leurs femmes sont frigides ; les curés sont de répugnantes vieilles chenilles qui ont inventé le péché pour nous empêcher de vivre. On connaît tout cela ; on peut préférer Baudelaire. Ou même Karl Marx, qui, au moins, ne se trompe pas de cible lorsqu’il écrit que « le triomphe de la bourgeoisie a noyé les frissons sacrés de l’extase religieuse, d l’enthousiasme chevaleresque et de la sentimentalité quatre sous dans les eaux glacées du calcul égoïste ». (La lutte des classes en France. [Mais non, il s’agit plutôt du Manifeste du parti communiste. —MZ]) L’intelligence n’aide en rien à écrire de bons poèmes ; elle peut cependant éviter d’en écrire de mauvais. Si Jacques Prévert est un mauvais poète c’est avant tout parce que sa vision du monde est plate, superficielle et fausse. Elle était déjà fausse de son temps ; aujourd’hui sa nullité apparaît avec éclat, à tel point que l’œuvre entière semble le développement d’un gigantesque cliché. Sur le plan philosophique et politique, Jacques Prévert est avant tout un libertaire ; c’est-à-dire, fondamentalement, un imbécile.
Les « eaux glacées du calcul égoïste », nous y barbotons maintenant depuis notre plus tendre enfance. Or peut s’en accommoder, essayer d’y survivre ; on peut aussi se laisser couler. Mais ce qu’il est impossible d’imaginer, c’est que la libération des puissances du désir soit à elle seule susceptible d’amener un réchauffement. L’anecdote veut que ce soit Robespierre qui ait insisté pour ajouter le mot « fraternité » à la devise de la République ; nous sommes aujourd’hui en mesure d’apprécier pleinement cette anecdote. Prévert se voyait certainement comme un partisan de la fraternité ; mais Robespierre n’était pas, loin de là, un adversaire de la vertu.
—Michel Houellebecq, “Jacques Prévert est un con” in Interventions, Flammarion, 1998, pp. 9-14
Cet article est paru dans le numéro 22 (juillet 1992) des Lettres françaises.
Cet article est paru dans le numéro 22 (juillet 1992) des Lettres françaises.